Le nouveau point de départ du délai de prescription des recours entre constructeurs
Publié le :
27/01/2023
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Le traitement des affaires, en droit de la construction, comporte un problème lié à la coordination des recours.
D’un côté, le recours décennal du maître d’ouvrage dure 10 ans, tandis que le délai de prescription attaché à l’action des constructeurs entre eux est de 5 ans. Ainsi, quand le maître d’œuvre confronté au recours du maître d’ouvrage, il n’est pas rare que le délai du recours entre coobligés soit déjà expiré, de sorte qu’il ne peut plus se retourner contre les autres intervenants pour partager, ou s’exonérer du coût de l’indemnisation. En réponse, une « gestion des risques de prescription » qui submerge les tribunaux de recours préventifs s’est développée chez les constructeurs afin d’éviter la forclusion du délai.
C’est dans ce contexte que la Cour de cassation est amenée à réexaminer sa position sur le point de départ du délai de prescription des recours entre constructeurs dans un arrêt du 14 décembre 2022.
Le présent litige concerne un chantier pour la restauration et la réhabilitation d’un immeuble. Après réception de l’ouvrage, l’office public de l’habitat (OPH) d’une commune se plaint de désordre auprès du groupement d’entreprises missionné. Le maître d’ouvrage sollicite la désignation d’une expertise judiciaire auprès du Tribunal administratif en 2011. D’abord en 2016, puis le 15 mars 2018, les juridictions administratives confirment la condamnation de plusieurs constructeurs au paiement nécessaire afin de remédier aux désordres. Le 6 mars 2018, devant le juge civil, le maître d’œuvre et son assureur assignent en remboursement des sommes versées à l’OPH, leur sous-traitant représenté par un liquidateur, et son assureur.
Par une décision du 28 mai 2021, la Cour d’appel déclare l’action irrecevable, car le délai de 5 ans est forclos. En effet, la juridiction civile considère que le délai de recours du maître d’œuvre contre les autres intervenants a commencé à courir, dès l’assignation en référé-expertise du maître d’ouvrage, en 2011.
Dans leur pourvoi, la société et son assureur reprochent la déclaration d’irrecevabilité de leur recours en garantie aux juges du fonds, l’argument soutient que le point de départ du délai court à partir du jour où le premier constructeur a fait l’objet d’une demande indemnitaire, donc à la date où l’OPH a demandé une indemnisation devant le Tribunal administratif en 2014.
La Cour de cassation introduit sa réponse en rappelant que la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit qui résulte de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps. De plus, aux termes de la combinaison des articles 2224 du Code civil et l’article L.110-4, I, du Code de commerce, « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Selon l’arrêt de référence rendu le 16 janvier 2020 (n°18-25.915), la Cour de cassation a déclaré que le recours d’un constructeur envers un autre constructeur ou son sous-traitant se prescrit selon le délai quinquennal prévu par le droit commun de l’article 2224 du Code civil. Le point de départ étant le jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, ainsi demeurait à ce titre l’assignation en référé-expertise du maître d’ouvrage mettant en cause la responsabilité du constructeur. L’arrêt d’appel est donc compréhensible au regard de la solution jusque-là applicable.
Néanmoins, partant de ce principe, la Cour constate une perversion de la procédure, qui consiste pour les constructeurs à introduire des recours anticipés contre d’autres intervenants, par pure précaution afin d’interrompre le délai de prescription, qui est suspendu, et fait repartir intégralement le délai depuis le jour où la mesure a été exécutée, d’après l’article 2239 du Code civil.
La Haute juridiction relève, en conséquence, que cette multiplication des recours préventifs nuit à la bonne administration de la justice. Prenant acte de ses considérations, la Cour opère un revirement de jurisprudence et décide que le point de départ n’est plus l’assignation en référé-expertise, désormais il s’agit de l’assignation au fond délivrée à l’initiative du demandeur.
La Cour énonce, en premier lieu que, « Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d’être lui-même assigné aux fins de paiement ou d’exécution de l’obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l’application de la prescription extinctive, avant l’introduction de ces demandes principales ».
Toutefois, ce nouveau principe ne s’applique pas, lorsque l’assignation « n’est pas accompagnée d’une demande de reconnaissance d’un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l’action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures ». Autrement dit, une nuance est apportée puisqu’en cas de présence d’une demande provision, l’ancienne jurisprudence évoquée reste applicable.
En conclusion, cette décision de la Cour de cassation représente un salut face aux nombreux contentieux qui souffrent du même problème pratique et juridique. Surtout, la solution était très attendue après les décisions du Conseil d’État en la matière (CE, 10 février 2017, n° 391722 et 10 juin 2022, n° 450675), qui n’analyse plus la demande de référé-expertise, comme une recherche de responsabilité entraînant le délai de prescription, mais à la différence considère que la connaissance du dommage par la victime constitue le point de départ du délai quinquennal de l’action entre constructeurs.
Référence d’arrêt : Cass. civ. 3ème, 14 décembre 2022, n° 21-21.305
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